Implications pratiques de la définition de la Cour fédérale des demandes de brevet divisionnaires « imposées » dans NCS Multistage
Dans NCS Multistage Inc. c. Kobold Corporation, 2023 CF 1486, la Cour fédérale a examiné ce qui constitue une demande de brevet divisionnaire imposée (par opposition à une demande de brevet divisionnaire volontaire).
En particulier, la Cour fédérale a examiné si deux brevets étaient issus d’une demande divisionnaire imposée. La demande divisionnaire a été présentée à la suite de l’objection d’un examinateur des brevets fondée sur l’absence d’unité de l’invention. La Cour fédérale a conclu qu’aucun des brevets n’était issu d’une demande divisionnaire imposée; les deux brevets étaient issus d’une demande divisionnaire volontaire.
La décision fait actuellement l’objet d’un appel devant la Cour d’appel fédérale[1], mais la question des demandes divisionnaires imposées n’est pas en cause.
Une demande divisionnaire « imposée » est protégée contre les allégations de double brevet à l’égard du brevet issu de la demande originale
En vertu du paragraphe 36(1) de la Loi sur les brevets, un brevet ne peut être accordé que pour une seule invention. Si une demande de brevet décrit plus d’une invention, le demandeur peut déposer une demande divisionnaire (paragraphe 36(2) de la Loi sur les brevets) ou doit le faire, selon les instructions du commissaire aux brevets (paragraphe 36(2.1) de la Loi sur les brevets).
En 1981, dans Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504, la Cour suprême du Canada a indiqué que les brevets résultant de demandes divisionnaires exigées par le Bureau des brevets sont à l’abri d’attaques fondées sur des allégations de double brevet à l’égard du brevet issu de la demande originale. Selon la Cour suprême du Canada, « il ne faut pas désavantager le titulaire d’un brevet à cause de demandes divisionnaires imposées ».
Qu’est-ce qui constitue une demande divisionnaire « imposée »?
La jurisprudence antérieure de la Cour fédérale ne s’entend pas sur ce qui constitue une demande divisionnaire imposée
Dans Abbott Laboratories c. Canada (Santé), 2009 CF 648, l’examinateur des brevets avait soulevé une objection relative à l’unité de l’invention, ce qui a mené à la division du brevet en question. La Cour fédérale a suivi Consolboard et a conclu qu’il y avait une preuve que le brevet divisionnaire avait été déposé à la demande du commissaire aux brevets et ne devrait donc pas être considéré comme invalide pour cause de double brevet : « il serait injuste et inéquitable de conclure que le brevet 395 doit être invalidé, uniquement parce que les demanderesses ont suivi les instructions du commissaire ».
Au cours de l’essai de contrefaçon de brevet dans Biogen Canada Inc. c. Taro Pharmaceuticals Inc., 2020 CF 621, les demanderesses ont décrit la demande de brevet en cause comme une demande « divisionnair[e] imposé[e] » (dans des contextes qui ne concernaient pas un double brevet). Au cours du processus d’examen de brevet, l’examinateur a soulevé une objection fondée sur l’absence d’unité de l’invention et a rendu une décision du Bureau. En réponse, la demanderesse Acorda a déposé une demande divisionnaire. La Cour fédérale a conclu que l’affirmation selon laquelle le brevet était issu d’une « demand[e] divisionnair[e] imposé[e] » était exagérée et que la décision de la demanderesse Acorda de déposer une demande divisionnaire était volontaire, puisque l’objection du Bureau des brevets était formulée dans une décision du Bureau, et non dans une « mesure finale ».
Dans NCS Multistage, la Cour fédérale a conclu que diviser une demande à la suite d’une objection de l’examinateur ne crée pas une demande divisionnaire imposée
Dans NCS Multistage, la Cour fédérale a conclu que la Cour fédérale, n’avait pas été dûment saisie de l’allégation de double brevet à l’égard du brevet prétendument issu de la demande divisionnaire « imposée » (le brevet 652) parce que l’allégation n’était pas incluse dans la défense et la demande reconventionnelle. Cependant, la Cour fédérale a subsidiairement abordé les arguments fondés sur le double brevet, et elle a commis une erreur dans cette conclusion.
Le brevet 652 a été issu d’une demande divisionnaire afférente à la demande qui est à l’origine du brevet 636, qui, à son tour, était issu d’une demande divisionnaire afférente à la demande qui est à l’origine du brevet 676. La Cour fédérale a examiné si chacune de ces divisions était issue d’une demande divisionnaire imposée, mais a conclu que les deux brevets étaient le résultat de demandes divisionnaires volontaires.
Le brevet 676 a été divisé pour créer le brevet 636 à la suite de deux demandes de l’examinateur. La Cour fédérale a conclu qu’il s’agissait d’une demande divisionnaire volontaire parce que rien n’indiquait que la demande divisionnaire était fondée sur les objections de l’examinateur ou en réponse à ces objections.
La demande divisionnaire ayant donné lieu au brevet 652 a été déposée en tant que « modification volontaire » en vertu du paragraphe 36(2) de la Loi sur les brevets, à la suite d’objections du Bureau des brevets fondées sur le défaut d’unité de l’invention. La Cour fédérale a conclu qu’il s’agissait également d’une demande divisionnaire volontaire.
La Cour fédérale craignait qu’une conclusion différente donne lieu à une mauvaise utilisation du processus de poursuite de l’examen de la demande de brevet, en vertu duquel un demandeur demanderait plusieurs brevets dans une seule demande et bénéficierait d’une protection contre le double brevet lorsque le Bureau des brevets incite le demandeur à diviser leur demande.
En outre, la Cour fédérale a conclu que seules les demandes divisionnaires déposées en vertu du paragraphe 36(2.1) de la Loi sur les brevets seraient considérées comme des demandes divisionnaires imposées. Les demandes divisionnaires déposées en vertu du paragraphe 36(2) de la Loi sur les brevets sont volontaires.
Plus tôt dans la décision, la Cour fédérale définit les brevets 652 et 636 comme étant issus de demandes divisionnaires « imposées », mais cela semble être une erreur à la lumière du raisonnement ultérieur de la Cour.
Répercussions pratiques de la décision NCS Multistage
Selon la décision de la Cour fédérale dans NCS Multistage, les décisions prises pendant la poursuite d’un brevet peuvent avoir des répercussions sur la défense d’un breveté dans une action en invalidité fondée sur une allégation de double brevet.
Si un demandeur divise sa demande à la suite d’une objection de l’examinateur (comme ce fut le cas dans NCS Multistage), le brevet issu de la demande divisionnaire serait probablement considéré comme étant issu d’une demande divisionnaire « volontaire » et ne bénéficierait pas de l’immunité contre les allégations de double brevet à l’égard du brevet issue de la demande originale.
La Cour fédérale ne précise pas les circonstances qui mèneraient à une demande divisionnaire « imposée », mais suggère qu’une demande divisionnaire déposée en vertu du paragraphe 36(2.1) de la Loi sur les brevets serait suffisante pour étayer l’immunité contre une allégation de double brevet.
Pratique du Bureau des brevets lorsqu’il soulève une objection sur la base de l’absence d’unité de l’invention
Il y a plusieurs étapes à franchir avant que le Commissaire ne délivre un avis d’instructions
Selon le Recueil des pratiques du Bureau des brevets (RPBB)[2], il y a de nombreuses étapes entre le moment où un examinateur relève une absence d’unité de l’invention et le moment où le commissaire émet un avis d’instructions enjoignant au demandeur de limiter les revendications dans la demande :
- L’examinateur informe le demandeur de l’irrégularité dans un rapport d’examen délivré en vertu du paragraphe 86(2) des Règles sur les brevets;
- Si le demandeur ne limite pas ses revendications à une seule invention, l’examinateur peut soumettre la question au commissaire aux brevets, mais ce renvoi ne se fera généralement qu’après que l’examinateur ait délivré au moins deux rapports;
- La demande est ensuite envoyée au Comité de révision de l’unité pour déterminer si le Comité de révision de l’unité estime que la demande révèle une absence d’unité de l’invention, et si cette irrégularité a été clairement communiquée au demandeur;
- Enfin, le commissaire examine la demande, et si la demande révèle une absence d’unité de l’invention, le commissaire émettra un avis d’instructions à l’intention du demandeur en vertu du paragraphe 36(2.1) de la Loi sur les brevets, enjoignant au demandeur de limiter les revendications à une seule invention.
La pratique du Bureau des brevets consiste à ne pas rendre de décision finale si une demande révèle une absence d’unité de l’invention
Selon le RPBB, la pratique du Bureau des brevets veut que le renvoi au commissaire ne soit pas une décision finale.
Sinon, si le demandeur limite ses revendications à une seule invention, les Règles sur les brevets exigeraient que l’examinateur retire le refus de la demande, et cela entraînerait l’acceptation de la demande, qui n’a pas été entièrement examinée. En outre, si le commissaire conclut que la demande révèle une absence d’unité de l’invention, les Règles sur les brevets empêchent toute autre modification de la demande.
Une copie de la décision peut être consultée ici.
Notes de bas de page
[1] Dossier de la Cour d’appel fédérale no A-309-23.
[2] RPBB, sections 21.07 (dernière modification en octobre 2019) et 21.07.06 (dernière modification en novembre 2013).