Pourquoi un plus grand nombre de litiges de PI pourraient être réglés à l’aide d’une plateforme numérique de RAD
Le Yoda qui expliquera les points positifs du nuage causé par la pandémie de COVID‑19 devra absolument mentionner la prolifération des plateformes en ligne (Yoda : « plateformes en ligne – elles prennent de l’ampleur »).
Bien que la Cour fédérale ait depuis longtemps adopté des procédures permettant de plaider autre qu’en personne, l’intérêt des juristes concernant l’utilisation du service de téléconférence Zoom a considérablement augmenté au cours de cette période de séparation physique. L’IPIC a récemment présenté un webinaire très populaire qui soulignait des conseils de pratiques exemplaires sur l’utilisation des plateformes en ligne par la Cour fédérale. Les milléniaux pourraient appeler cela un méta-phénomène – une plateforme d’enseignement numérique pour expliquer l’accès à la justice en ligne!
Entre-temps, le vaste éventail de plateformes regroupées sous l’expression inélégante Règlement alternatif des différends (RAD) peuple le domaine du numérique en ligne depuis plusieurs années. Les membres de l’IPIC connaissent déjà l’arbitrage en ligne utilisé pour régler les litiges relatifs aux noms de domaine. Pour ce qui est de l’utilisation de la médiation, comparable à se fier tellement sur la flatterie personnelle et la persuasion, elle a, contre toute attente, connu un succès considérable dans l’univers en ligne, pour certains types de litiges, ce qui augure bien pour son utilisation dans les différends liés à la PI.
Pour vérifier cette affirmation, examinons de près comment le RAD en ligne fonctionne au Québec.
L’Office québécois de la protection du consommateur (OQPC)
En 2010, l’OQPC avait déjà été inondé de tellement d’appels que son service de « soutien au consommateur », autrement dit de lobbying pour le compte du consommateur, avait produit des résultats décevants.
Seulement 3 000 des 10 000 appels reçues chaque année ont terminé leur périple sur la pile des formulaires de plaintes complétés et seulement 500 de ces 3 000 plaintes ont été réglées, soit environ 5 %. Qu’en est-il de toutes les autres plaintes? Elles ont abouti à la Cour des petites créances où le délai d’audition d’une affaire prend jusqu’à deux ans.
En 2010, l’OQPC a compris que le « soutien au consommateur » ne produisait pas les résultats escomptés, même si le nombre de ceux et celles qui voulaient utiliser le système avait considérablement augmenté. L’OQPC a donc abandonné le « soutien au consommateur » et le nombre d’appels de consommateurs a constamment augmenté pour atteindre aujourd’hui environ 140 000 par année. Le rétrécissement de l’entonnoir a fait en sorte que le nombre de plaintes formelles a atteint le chiffre de 30 000, dont la moitié concernait un différend entre un consommateur et un marchand. Un changement plus important s’imposait.
En 2016, l’OQPC a changé de paradigme et fait le saut dans l’univers numérique. L’Office a réservé les services du Laboratoire de cyberjustice de l’Université du Québec à Montréal pour la création d’une plateforme en ligne. Le Laboratoire a créé PARLe, une plateforme d’aide au règlement des litiges en ligne (l’acronyme est génialement bilingue; en anglais, il est connu comme « Platform to Assist in the Resolution of Litigation »).
Il est important de préciser que l’accès à cette plateforme n’est pas en libre service. Le consommateur doit d’abord communiquer avec un agent de l’OQPC qui confirmera son admissibilité et lui fournira les renseignements nécessaires pour créer un compte et y accéder. À ce stade, le consommateur saute à pieds joints dans l’espace virtuel du RAD. Première étape : description numérique du problème entre le consommateur et le marchand, proposition d’une solution et téléversement de tous les documents pertinents.
Deuxième étape : la balle est dans le camp du marchand participant qui peut l’accepter ou retourner le service à l’aide d’une contre-proposition pour lancer les négociations. Une des parties concernées peut alors proposer d’inviter un médiateur (neutre) pour faciliter un règlement. Quoi qu’il en soit, si les parties n’arrivent pas à une entente dans les 20 prochains jours ouvrables (c.-à-d. habituellement 4 semaines), la médiation devient automatique. La plateforme PARLe nomme un médiateur agréé qui peut accéder à l’intégralité du dossier électronique et tenter de rapprocher les positions des parties pour arriver à un règlement. À la fin, le médiateur peut également proposer un résultat que chaque partie peut évidemment accepter, modifier ou rejeter.
Troisième et dernière étape : Si les parties s’entendent, avec ou sans être accompagnées par un médiateur, un document décrivant le règlement en détail est téléversé au dossier. Cette plateforme fonctionne sans doute puisque le contenu du dossier est confidentiel; un consommateur qui ne connaît pas bien les outils en ligne peut demander à toute personne de le représenter (sauf un avocat) et le médiateur, rémunéré par le gouvernement, ne peut pas facturer les parties (tout le monde adore ce qui est gratuit!).
Quel est donc le bilan de ce paradigme de l’OQPC après 2010? Est-ce qu’il a amélioré le taux de règlement de 5 % de l’ère pré-2010? Le fier parent du paradigme, le Laboratoire de cyberjustice, a déclaré dans son communiqué du 2 décembre 2019, qu’il avait réalisé les résultats exceptionnels suivants.
Le 1er novembre 2019, 7 500 consommateurs avaient accédé à la plateforme et environ 2/3 des différends avaient été réglés, en moyenne dans les 26 prochains jours ouvrables. Les utilisateurs ont accordé à l’outil un taux de satisfaction de 88 %. Une quinzaine de marchands utilisent activement la plateforme PARLe. Un groupe de 20 médiateurs, juristes ou notaires québécois sont accrédités pour participer aux causes.
Cette réussite n’est pas passée inaperçue. Ce projet a mérité le Prix d’excellence 2018 de l’Institut d’administration publique du Québec dans la catégorie Initiatives numériques. Sur bien des points, y compris l’accès, la rapidité, la popularité, le coût, la satisfaction et la résolution, cette initiative lancée il y a 3 ans servira de baromètre pour la médiation en ligne pendant de nombreuses années.
Protégez-vous.ca
Cette entité privée sans but lucratif publie un magazine en langue française et exploite un site Web, du même genre que Consumer Reports. Protégez-vous s’est en plus associé avec un partenaire qui possède une boîte d’outils techniques pour le propulser dans le monde de la résolution des différends en ligne, notamment le service juridique en ligne OnRègle, fondé par deux avocats. Moyennant un frais de 50 $, la plateforme aide le consommateur à préparer une réclamation accompagnée des documents à l’appui et l’achemine à l’autre partie par courrier recommandé.
Tout comme pour la plateforme PARLe, le dossier électronique est toujours accessible aux parties qui peuvent se présenter des offres et des contre-offres sur la plateforme. Contrairement à PARLe, des frais sont exigés suite à un règlement : chaque partie verse à Protégez-vous 2,5 % (5 % au total) du montant total du règlement. Suite au paiement de ces frais, le site Web génère automatiquement une convention de règlement et l’envoie aux deux parties. Le site Web indique que les profits de cette plateforme en ligne servent à financer d’autres projets d’aide au consommateur.
Contrairement à PARLe, cette plateforme ne possède aucun mécanisme lui permettant d’incorporer un médiateur dans la négociation en ligne, sur une base volontaire ou automatique, pour faciliter la négociation menant à une résolution. Cependant, une page du site Web de la version anglaise BidSettle énumère les huit avantages d’une médiation, le huitième précisant que le règlement des différends en ligne peut être utilisé en parallèle avec la médiation :
« (8) Enfin, la médiation peut être utilisée en parallèle avec d’autres outils technologiques comme la négociation en ligne, communément appelé le Règlement des conflits en ligne (RCL). Ces outils pourraient vous permettre de régler vos différends avant même de considérer la médiation ou après l’avoir amorcée. » [TRADUCTION]
Ceci étant dit, le service juridique en ligne OnRègle (mais non sa version anglaise BidSettle) offre la plateforme d’arbitrage « Tribunal en ligne » au coût de 500 $ par partie. Comme pour le modèle de négociation directe, les parties téléversent tous les renseignements concernant le différend en ligne. Une visioconférence en présence de l’arbitre est ensuite organisée et une courte décision d’au plus 15 lignes est transmise aux parties 5 jours plus tard. Le service OnRègle promet que le processus prend au plus 30 jours.
Bien qu’à ma connaissance, le règlement et la négociation des conflits en ligne n’ait jamais été utilisé au Québec pour, entre autres, les différends en matière de marques de commerce, l’OMPI l’utilise à l’échelle internationale depuis 5 ans.
eADR de l’OMPI
L’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) offre un outil de « gestion des cas » en ligne, élaboré et administré par le Centre de l’OMPI. L’eADR de l’OMPI permet « aux parties ainsi qu’aux intermédiaires neutres (médiateurs, arbitres, et experts) dans un dossier eADR d’OMPI de consulter, partager et soumettre de façon sécurisée leurs communications électroniques sur une seule plateforme en ligne ». Selon l’OMPI, les parties ont utilisé ce service lancé en 2015 dans environ 30 % des cas d’arbitrage.
Pour ce qui est des réunions, les parties et les intermédiaires neutres peuvent convenir d’organiser des rencontres (ainsi que des auditions) à distance par l’entremise d’outils en ligne, notamment les solutions de visioconférence de l’OMPI, dont plusieurs sont recommandées par l’organisme.
L’avenir en ligne
La tendance de règlement des différends en ligne RAD décrite plus haut dans le texte, loin d’être un feu de paille de la COVID-19, est déjà bien connue et populaire. Si j’étais prophète ou prévisionniste, j’oserais avancer que, comme une marque célèbre qui gravit les grands immeubles, cette tendance évoluera à un rythme constant.