Où s’inscrira la propriété intellectuelle dans le Twitter d’Elon?
Certaines personnes ont été soulagées par la promesse d’une nouvelle ère de « liberté d’expression » pour Twitter, mais cette annonce en a énervé d’autres. Avec la nouvelle de l’intention d’Elon Musk de convertir la plateforme en un « forum de discussion numérique », les supporters et les critiques attendent anxieusement de voir la forme que prendra le nouveau médium de débat.
Peu importe le libellé des règles d’engagement, les limites des propos acceptables seront assujetties à certaines restrictions juridiques. Le discours haineux et la diffamation sont des exemples simples - mais la propriété intellectuelle (PI) demeure une limite souvent négligée et sous-estimée.
La PI et la liberté d’expression
Les droits de PI sont solidement établis en tant que limite intentionnelle et raisonnable pour certains types d’expression. Par exemple, le droit de s’exprimer ne comprend pas le droit d’utiliser sans permission une musique populaire (infraction du droit d’auteur), de modifier le logo d’une tierce partie pour lancer un produit (contrefaçon d'une marque), d’annoncer des services de manière inexacte (concurrence déloyale) ou de révéler certains renseignements confidentiels d'un employeur (abus de confiance).
Les lois sur le droit d’auteur interdisent toute reproduction ou distribution d'une œuvre sans autorisation. En tant que tel, les droits qui protègent la libre expression ne permettent pas automatiquement le copiage, plus particulièrement s’il est fait à des fins lucratives. Cela est contrebalancé par des exceptions « d’usage loyal » ou « de traitement équitable » du droit d'auteur qui peuvent omettre l'usage d’œuvres protégées dans certaines situations, par exemple la recherche, la critique, l'examen, la parodie et le reportage de nouvelles.
Les lois sur les marques de commerce stipulent qu’une tierce partie n’est pas habilitée à s’approprier des noms ou des symboles de marques qui ne lui appartiennent pas. Bien que les lois sur les marques de commerce ne comprennent aucune exception « de traitement équitable », le simple fait de discuter d'une marque de commerce n'est pas considéré comme un « usage » et normalement pas reconnu comme une contrefaçon.
Les règles de concurrence interdisent un éventail de comportements, notamment tout énoncé faux ou trompeur sur un de ses propres produits ou services ou ceux d'un concurrent.
Le droit des contrats stipule que toutes les parties concernées par un contrat de confidentialité, par exemple un employé ou un fournisseur de services, doivent veiller à la préservation de cette confidentialité. La liberté d’expression ne protège normalement pas quelqu’un contre ses responsabilités en matière d’abus de confiance, sauf pour certaines lois sur les lanceurs d’alerte.
La question à savoir comment ces droits de PI devraient se positionner par rapport aux droits constitutionnels demeure un sujet de discussion. Certains tribunaux canadiens ont donné une interprétation atténuante aux dispositions de PI pour élargir la portée de la liberté d’expression pour les citoyens (voir l’affaire British Columbia Automobile Assn v OPEIU, Local 378 (2001), 85 BCLR (3d) 302 (SC), dans laquelle le tribunal a déterminé que le site internet d’un syndicat en grève qui parodiait l’employeur ne dévalorisait pas la bonne volonté de l’employeur dans sa marque de commerce enregistrée). D’autres tribunaux ont donné raison aux titulaires de droits en concluant que les droits qui protègent la liberté d’expression n’englobent pas la capacité d’utiliser la propriété privée d’autrui (voir l'affaire Compagnie générale des établissements Michelin v CAW Canada, [1997] 2 FC 306 (TD), dans laquelle le tribunal a déterminé que la représentation syndicale du « Bonhomme Michelin » qui marche sur des travailleurs constitue une contrefaçon de marque). Il est important de préciser que, dans ces deux décisions, certains ont avancé que le tribunal avait mal interprété les faits.
Bien que ces questions soient intéressantes d’un point de vue académique, le contenu au jour le jour des débats sur Twitter ne dépendra probablement pas de la perspective d’un juge. Plus souvent qu'autrement, la politique de la plateforme dicte les règles, les parties intéressées pouvant se tourner vers les tribunaux lorsqu’elles sont d’avis que les politiques de la plateforme Twitter ne respectent pas les lois applicables.
Modalités de service
Toutes les principales plateformes de média social adoptent des règles concernant l’infraction et la contrefaçon, en partie en raison de la Digital Millennial Copyright Act aux États-Unis et, dans une certaine mesure, de la Loi sur le droit d’auteur au Canada, lesquelles ont imposé aux intermédiaires l’obligation d’agir dès qu’ils sont informés de toute infraction ou contrefaçon.
Twitter ne fait pas exception. Actuellement, sa trademark and copyright infringement policy (politique sur la contrefaçon des marques et l'infraction au droit d'auteur) permet aux titulaires de droits de signaler tout abus de leur PI, ce qui pourrait mener à des retraits ou des suspensions. Twitter exige que les propriétaires de marques les enregistrent avant que la plateforme réagisse à une plainte. Une demande de marque en attente ne satisfait pas cette exigence. Cependant, un enregistrement n’est pas obligatoire pour donner suite à une plainte pour infraction au droit d’auteur, laquelle peut être appuyée par un lien vers l’œuvre originale.
Parmi tous les changements possibles, réorienter la façon dont Twitter surveille et contrôle les droits de PI pourrait avoir énormément d’impact, car cette mesure concerne la liberté d’expression. Les critiques prétendent que certaines sociétés de médias ne sont pas équipées adéquatement pour faire la distinction entre un contenu qui contrevient et un autre qui est équitable. Si Twitter cherche à repousser la ligne pour favoriser une liberté d’expression encore plus large, cette initiative pourrait avoir d’importantes répercussions pour les utilisateurs et les titulaires de droits de PI.
Au fur et à mesure que les contours du Nouveau Twitter prendront forme au cours des prochaines semaines, les supporteurs et les critiques d’Elon devront prioriser la surveillance des politiques en matière de PI.
Par : Reagan Seidler, vice-président du Comité des communications de l’IPIC