Médiation et arbitrage : Se défaire des contraintes liées à la COVID-19 et au projet de loi 96 du Québec
De nos jours, toute personne confrontée à un différend commercial qu’elle ne peut pas résoudre elle-même se tourne vers une personne impartiale respectée pour le régler. Autrefois, cette personne « neutre » pouvait être un vieux sage, une autorité religieuse ou un seigneur féodal qui entendait l’argumentation de chaque partie dans sa cour intérieure.
Plus récemment, le droit étant devenu beaucoup plus complexe, cette personne impartiale est un juge et la cour extérieure est une cour de justice. À plusieurs égards, cela est une amélioration, mais une caractéristique de cette incarnation de justice moderne est pire qu’avant – la file de plaignants est de plus en plus longue et la ligne d’attente pour une date d’audience avance à pas de tortue.
Ironiquement, les règles détaillées de droit, de procédure et de preuve qui ont été créées pour fournir une accélérer l’accès à la justice ont également servi à la ralentir. En outre, un très grand nombre d’antagonistes ne possèdent simplement pas les moyens financiers pour assumer l’énorme dépense d’une poursuite judiciaire – ni pour réorienter leurs autres priorités et encore moins pour gérer le stress émotionnel souffert. Par conséquent, nous entendons un appel au clairon pour « améliorer l’accès à la justice. »
Les responsables politiques québécois ont entendu cet appel et ils ont épissé les modes de négociation, de médiation et d’arbitrage dans l’ADN du système de justice. Cet ADN comprend les codes de droit, les procédures quotidiennes des tribunaux et l’instruction fournie aux juristes. Ces « manipulations des gènes » ont placé les mécanismes de règlement alternatif des différends (RAD) à l’avant-garde d’un meilleur accès à la justice. Pour être plus précis et comme plusieurs le prétendent, il est erroné d’appeler ces modes « alternatifs », car ils sont plutôt dominants
Les mécanismes de RAD permettent de gérer les conflits à l’intérieur d’un calendrier beaucoup plus favorable, notamment parce que les parties concernées ne sont pas en concurrence avec les demandeurs et les défendeurs pour obtenir l’accès aux tribunaux. En plus, contrairement aux parties qui se présentent devant le tribunal, les parties prenantes d’une séance de médiation ou d’une audience d’arbitrage profitent de plusieurs avantages, notamment le respect des renseignements personnels et la protection de leurs témoignages et informations commerciales dans le cône de la confidentialité.
Naturellement, ces nouvelles approches ont mis du temps à gagner du terrain. Puis le virus de la COVID-19 a frappé fort en mars 2020, érigeant de nouveaux obstacles sur la route menant à la justice. Dans leur réaction à cet enjeu, les partisans des mécanismes de RAD ont commencé à effectuer de la médiation et de l’arbitrage sur des plateformes en ligne.
Malheureusement, dans un « simple coup du sort », le 1er juin dernier, le projet de loi 96, Loi sur la langue officielle et commune du Québec pour renforcer la Charte de la langue française, a élevé de nouveaux obstacles sur la route menant à la justice pour ceux et celles qui veulent plaider en langue anglaise et s’assurer que le juge comprend bien leurs témoignages. Ces nouveaux obstacles font en sorte qu’il est opportun d’examiner plus attentivement les avantages fournis par les mécanismes de RAD.
En vertu du projet de loi 96, une « personne morale », par exemple une société, ne peut plus plaider en langue anglaise, sauf si une traduction en langue française certifiée par un traducteur agréé accompagne l’acte de procédure rédigé en anglais (la juge Chantal Corriveau a récemment suspendu certaines dispositions de la loi en attente d’une audience complète sur une contestation judiciaire qui aura lieu plus tard au cours de l’année). Les juges ne sont plus tenus de comprendre l’anglais ou de le parler.
« Avantage : médiation. » Dans le volet médiation du mécanisme de RAD, la nécessité et le fardeau de traduire les documents concernant le différend sont absents. Les enjeux liés à la découverte de traducteurs agréés et aux retards causés par la traduction des documents n’existent pas. Ces obstacles au déroulement d’un procès s’amplifient lorsque les « plaidoiries » sont interprétées de façon plus large pour inclure l’épaisse pile de preuves souvent jointes. La nécessité d’une traduction certifiée des documents peut représenter un investissement de plusieurs milliers de dollars.
Entre-temps, tout en attendant le résultat des contestations du projet de loi 96 et des appels probables, le besoin de régler des différends ne disparait pas.
La médiation est un catalyseur - une substance qui facilite ou accélère une réaction chimique – en plus d’être un agent qui provoque un changement significatif. Dans le domaine du règlement d’un différend, le médiateur est une personne qui facilite une « réaction de règlement »; autrement dit, un agent qui comble le fossé et contribue à transformer un différend en un règlement.
La médiation comporte un ensemble d’avantages. Comparativement au nombre d’années requises pour un procès, la médiation ne demande souvent pas plus d’un jour ou deux. Même si elle prend un peu plus de temps, les parties concernées et le médiateur collaborent à l’établissement d’un calendrier. Par conséquent, en plus d’être beaucoup moins dispendieuse, la médiation cause moins de stress et permet aux parties de se concentrer sur leurs intérêts au lieu d’étudier constamment des documents. Les parties choisissent leur propre médiateur et ils collaborent à la conception d’une solution logique sur le plan commercial et émotionnel pour leur différend juridique. La confidentialité est le garde-corps qui favorise ces résultats.
L’arbitrage, selon lequel un adjudicateur rend habituellement une décision contraignante, comporte également un éventail d’avantages que l’on ne retrouve pas dans un procès. Les parties concernées choisissent le décideur (par exemple en fonction de son expertise et de sa réputation). Les parties prenantes et l’arbitre collaborent à limiter le nombre de témoins à entendre et de preuves écrites à présenter. Dans l’arbitrage, la confidentialité est aussi un trait distinctif. En plus, contrairement aux exigences d’un tribunal imposées aux termes du projet de loi 96, il n’est pas nécessaire de traduire les « plaidoiries. »
Est-ce que le mécanisme de RAD est exécutoire? Oui. Lorsque la médiation mène à un accord de règlement ou lorsque l’arbitre rend une décision, les parties concernées doivent les faire certifier par un tribunal pour qu’un jugement devienne applicable. Le mécanisme de RAD est souple. Si une médiation ne fonctionne pas ou si un règlement est seulement partiel, les parties concernées peuvent toujours se tourner vers l’arbitrage ou les tribunaux.
Pour les parties concernées dans un mécanisme de RAD, l’avantage de choisir leur propre personne neutre devrait désormais inclure des compétences linguistiques. Les parties peuvent veiller à ce que la personne neutre comprenne leur propre langue et leur parle dans celle-ci. Dans la médiation et l’arbitrage, rien n’interdit de choisir un médiateur qui parle couramment l’anglais et qui tient la session entièrement en langue anglaise. Les anglophones ne devraient pas reporter leurs attentes de justice pendant des années jusqu’à ce que les contestations du projet de loi 96 arrivent à leur terme.
Les motifs persuasifs de choisir la médiation et l’arbitrage pour accéder à la justice existent depuis longtemps. Les enjeux liés à la COVID-19 et au projet de loi 96 nous permettent d’apprécier davantage ces mécanismes de résolution des différends et de mieux les pratiquer.
Richard Levy et Nancy Cleman sont deux juristes de Montréal et fervents partisans de la médiation et de l’arbitrage.