La nouvelle Stratégie économique nationale pour les Autochtones au Canada 2022 et son intersection avec la propriété intellectuelle
En juin dernier, le gouvernement fédéral a publié la « Stratégie économique nationale pour les Autochtones au Canada 2022 » (SENAC).
La SENAC s’inspire du rapport de 2015 de la Commission de vérité et de réconciliation (CVT), ainsi que sur la prémisse selon laquelle une pleine réconciliation avec les peuples autochtones est impossible sans réconciliation économique. La Stratégie sert de schéma directeur pour obtenir l’engagement et l’inclusion primordiales des peuples autochtones dans l’économie canadienne, avec comme objectif ultime que les communautés autochtones obtiennent l’autodétermination et la parité socio-économique avec le reste du Canada.
Sans surprise, la SENAC reconnaît que la protection de la propriété intellectuelle est un important aspect de l’économie globale. Toutefois, en vertu du cadre réglementaire actuel, les peuples autochtones ne possèdent peut-être pas les outils nécessaires pour exercer pleinement leurs droits économiques en termes de recherche autochtone et de savoir culturel communautaire. Le rapport précise que :
« Les Premières Nations, les Inuits et les Métis se débattent avec les régimes juridiques existants pour tenir compte de leurs valeurs culturelles uniques. La simple intégration du savoir autochtone dans les systèmes juridiques occidentaux pour la protection de la propriété intellectuelle s’est heurtée à la résistance des gardiens autochtones du savoir qui se disent préoccupés par l’utilisation et la protection appropriées de leur savoir. Nombreux sont ceux qui considèrent les activités de collecte de connaissances comme une autre forme de colonisation et d’exploitation, où ces connaissances peuvent être exposées, utilisées de manière abusive ou contre l’autonomisation des Autochtones. »
Effectivement, la protection du savoir autochtone, par l’entremise des systèmes conventionnels de propriété intellectuelle, a été difficile, sinon impossible. Par exemple, le savoir autochtone fait souvent déjà partie du domaine public et est par conséquent inadmissible à la protection offerte par les régimes occidentaux de PI qui, en général, protègent uniquement les nouvelles œuvres et idées plutôt que les ouvrages préexistants. Le concept occidental de propriété est aussi difficile à réconcilier puisque les cultures autochtones reconnaissent des droits de protection pour la propriété communautaire et non pour la propriété individuelle. Par conséquent, il est très souvent futile de tenter d’identifier le « propriétaire » du savoir autochtone.
La SENAC souligne deux (2) importants énoncés stratégiques et leurs appels à l’action correspondants, qui concernent spécifiquement la protection des droits de PI autochtones, notamment :
- Protéger la propriété intellectuelle et le savoir traditionnel autochtones contre toute appropriation culturelle illicite en créant un volet autochtone au sein de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC) et
- Mettre en place des institutions qui soutiennent tous les aspects de la prospérité économique autochtone en créant un institut des savoirs autochtones axé sur la protection des droits autochtones, le suivi de la recherche axée sur les Autochtone et la protection des droits de propriété intellectuelle, les connaissances culturelles propres aux communautés, les ressources génétiques et les expressions culturelles traditionnelles.
Même si la SENAC ne discute pas du rôle précis du volet autochtone proposé pour l’OPIC ou de l’institut du savoir autochtone, il est logique de conclure qu’un des éléments de son mandat consisterait à mettre en application l’article 31 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA) qui stipule que :
- Les peuples autochtones ont le droit de préserver, de contrôler, de protéger et de développer leur patrimoine culturel, leur savoir traditionnel et leurs expressions culturelles traditionnelles ainsi que les manifestations de leurs sciences, techniques et culture, y compris leurs ressources humaines et génétiques, leurs semences, leur pharmacopée, leur connaissance des propriétés de la faune et de la flore, leurs traditions orales, leur littérature, leur esthétique, leurs sports et leurs jeux traditionnels et leurs arts visuels et du spectacle. Ils ont également le droit de préserver, de contrôler, de protéger et de développer leur propriété intellectuelle collective de ce patrimoine culturel, de ce savoir traditionnel et de ces expressions culturelles traditionnelles.
- En concertation avec les peuples autochtones, les États prennent des mesures efficaces pour reconnaître ces droits et en protéger l’exercice.
Le 21 juin 2021, la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones a reçu la sanction royale et est entrée en vigueur au Canada. Cette loi pourrait ouvrir la voie pour des instruments juridiques qui fourniraient une protection sui generis des droits de propriété intellectuelle des peuples autochtones.
Le Comité des enjeux autochtones en matière de PI de l’IPIC continuera de suivre la mise en application des appels à l’action précisés dans la SENAC.