Guide de poche de la PI et l’ACEUM – le nouvel ALENA
Les membres de l’IPIC savent que les droits de PI ont fait l’objet de débats très houleux dans le cadre des récentes négociations commerciales entre les représentants du Canada, des États-Unis et du Mexique. Les membres du Comité de la politique commerciale en matière de PI de l’IPIC qui ont surveillé la situation de près présentent ce bref aperçu qui, selon eux, représente fidèlement les engagements actuels les plus importants des parties concernées.
L’acronyme « ACEUM » utilisé dans les présentes signifie l’Accord Canada-États-Unis-Mexique, dans sa version modifiée actuelle et proposée pour mise en application dans les trois pays. L’ACEUM comprend maintenant deux (2) documents : la proposition initiale d’ACEUM du 30 novembre 2018 et l’amendement signé à Mexico le 9 décembre 2019 (le Protocole d’amendement ou le « PdA »).
Prolongation de la durée du droit d’auteur
L’ACEUM prolonge la durée de la protection du droit d’auteur pour les œuvres, les enregistrements sonores et les prestations au Canada.
Le Canada prolongera la durée de sa protection du droit d’auteur pour les œuvres, de 50 à 70 ans suivant le décès de l’auteur; cette durée de protection passera de 70 à 75 ans pour les prestations et les enregistrements sonores publiés. Ces prolongations serviront à harmoniser les durées en vigueur au Canada avec les normes mondiales de protection pour les créateurs et l’Accord précise que le Canada aura 2,5 ans pour mettre ces modifications en application.
Le Mexique jouit déjà d’une très longue durée de protection du droit d’auteur (pour les œuvres, 100 ans suivant le décès de l’auteur et pour les enregistrements sonores et les prestations, 75 ans après la fixation). Étant donné que le Mexique satisfait déjà les normes établies par l’ACEUM en termes de durée de protection du droit d’auteur, aucune de ses lois locales ne devrait être modifiée en conséquence.
Aux États-Unis, la durée actuelle de protection du droit d’auteur se situe déjà à 70 ans suivant le décès de l’auteur. Pour ce qui est des enregistrements sonores, leurs droits sont habituellement protégés pour une durée de 95 ans après la fixation. Par conséquent, les États-Unis n’auront pas à mettre en application d’autres prolongations pour satisfaire ces éléments de l’ACEUM.
Par ailleurs, la Loi sur le droit d’auteur du Canada satisfait en grande partie les dispositions de l’ACEUM, autre que pour certains amendements possibles concernant des recours liés à la violation des Mesures techniques de protection et information sur le régime des droits.
Accroissement des mesures relatives aux produits de contrefaçon
L’ACEUM enjoint le Canada de renforcer ses mesures de lutte contre la contrefaçon.
Malgré l’adoption de nouvelles mesures de lutte contre la contrefaçon dans sa Loi visant à combattre la contrefaçon de produits, entrée en vigueur en 2015, le Canada figurait encore en 2018 sur la liste de surveillance « prioritaire » du rapport spécial 301 du représentant au Commerce des États-Unis. L’inclusion répétée du Canada dans le rapport spécial 301 témoigne du point de vue persistant des États-Unis selon lequel le Canada sert de point de transbordement de marchandises contrefaites et qu’il ne prend pas les mesures nécessaires pour empêcher ces produits d’entrer ensuite aux États-Unis.
Les modifications législatives exigées par l’ACEUM permettront aux autorités frontalières canadiennes de prendre les mesures nécessaires pour retenir les marchandises que l’on soupçonne de contrefaçon et qui transitent par le Canada. En plus, le Canada devra peut-être mettre en application, dans les poursuites civiles concernant la contrefaçon d’une marque, un système qui prévoit des « dommages-intérêts prédéterminés » d’un montant suffisant pour dissuader tout éventuel contrevenant et pour compenser le titulaire du droit pour tout préjudice attribuable à la violation. En outre, les autorités frontalières seront habilitées à ordonner la destruction des produits de marque contrefaits soupçonnés ou les marchandises pirates portant atteinte au droit d’auteur, après avoir déterminé qu’il s’agit bien de marchandises de contrefaçon.
Ces droits rehaussés donneront des outils d’application additionnels aux titulaires de marques de commerce.
Marques de commerce : inscription des licences au registre, utilisation des noms de pays, marques collectives
L’ACEUM comporte trois éléments dignes de mention concernant, entre autres, les droits de protection des marques. Pour ce qui est des licences de marque, l’accord précise explicitement qu’il n’est pas nécessaire d’inscrire une licence de marque au registre pour en établir la validité et que l’inscription n’est pas une condition d’emploi de la marque par le titulaire de la licence pour représenter un emploi réputé par le propriétaire de la marque dans une poursuite visant le respect de la marque. Le droit canadien sur les marques de commerce satisfait déjà cette exigence.
Deuxièmement, l’ACEUM est le premier accord de libre-échange qui prévoit, pour les noms de pays, une protection dans un contexte commercial contre leur usage par des personnes non autorisées. Cette disposition vise à prévenir l’utilisation des noms de pays (pour avoir du sens, cette disposition devrait s’appliquer aux noms géographiques en général) sur des produits, plus précisément lorsque les endroits sont bien connus et que l’étiquetage donne une fausse impression que le produit vient de ce territoire. La Loi sur les marques de commerce du Canada respecte déjà cette disposition. Au cours des dernières années, une des principales discussions des membres du Comité permanent de l’OMPI sur le droit des marques, des dessins industriels et des indications géographiques a porté sur la façon de protéger les noms de pays dans des marchés de consommation contre leur mauvais usage sur des produits, comme des éléments de noms de domaine et à titre d’identificateurs d’entreprises. Leur inclusion dans l’ACEUM peut être une façon de le faire. Il semble que le Canada a satisfait les exigences de l’ACEUM (tout au moins en partie) en matière d’utilisation des noms de pays, mais une étude devra être effectuée pour déterminer si d’autres modifications législatives s’imposent.
Troisièmement, l’ACEUM exige que les marques de commerce comprennent les marques collectives et les marques de certification. Le Canada devra mettre en œuvre une législation qui permettra d’enregistrer les marques collectives (marques utilisées par les membres d’une association ou d’un collectif).
Indications géographiques
L’ACEUM est un des rares accords de libre-échange qui établit des paramètres détaillés sur la protection des indications géographiques (IG) pour ses parties contractantes. Même si les dispositions sont détaillées, elles restreignent la progression des droits des IG dans les compétences qui se fient sur la législation, soit le Mexique et le Canada (ce dernier dans une moindre mesure). Le contenu d’IG dans l’ACEUM est couvert dans six (6) pages, presqu’autant que les dispositions de brevet et liées aux brevets dans l’accord. Cette manœuvre est délibérée, car les dispositions d’IG de l’ACEUM visent à créer une situation équitable dans les approches sur la protection des IG entre les parties contractantes et pour restreindre celles qui sont en vigueur dans l’Union européenne (UE). Cette disposition concerne plus particulièrement les IG autres que pour les vins et les spiritueux, surtout les aliments. Un petit historique des dispositions d’IG de l’ACEUM peut être utile. Tel que reflété dans au moins une décennie de plaintes américaines dans ses rapports spéciaux 301, les lois sur la PI qui rendent indéfinis les droits de protection des IG et qui représentent une cause d’irritation pour les droits de marques établis devraient être limitées ou inexistantes. Dans les accords de libre-échange en vigueur dans l’UE, les IG sont des droits de PI très illustrés, au point qu’il est souvent impossible de les annuler (par exemple les désignations d’IG particulières de l’UE en vertu de l’AECG). L’UE a été en mesure de répandre cette perception des IG à l’échelle mondiale, par l’entremise de ses accords de libre-échange. L’ACEUM tente de contrecarrer cette perception des IG.
Par conséquent, dans l’ACEUM, les IG peuvent être annulées ou opposées et même contestées comme des éléments génériques dans la compétence hôte. Le Canada a adopté des lois semblables sur les IG; la seule différence frappante concerne ses engagements en termes d’IG avec l’UE en vertu de l’AECG. Il est important de préciser qu’en vertu de l’AECG, les désignations d’IG de l’UE ne peuvent pas devenir génériques ou être contestées comme telles au Canada. Entre autres mentions notables, l’ACEUM précise que l’enregistrement des IG ne devrait faire l’objet d’aucun obstacle bureaucratique à l’intérieur de la compétence des parties contractantes. Cela vise à répondre aux plaintes américaines selon lesquelles certaines lois sur les IG (plus précisément dans l’UE) nuisent à l’enregistrement à l’étranger des produits des titulaires de droits américains à titre d’IG. À l’échelle mondiale, peu d’accords de libre-échange comportent des stipulations sur les éléments à prendre en compte dans les allégations génériques d’IG. Cette disposition est très clairement énoncée dans l’ACEUM. Suite à la ratification, les parties doivent désormais assurer la transparence des procédures et règlements utilisés pour l’enregistrement des produits d’IG. Toutes les procédures d’IG utilisées par les titulaires de droits devront être publiquement disponibles et accessibles et ce, pour faire en sorte que toute partie intéressée à contester un enregistrement d’IG possède les renseignements nécessaires pour le faire. Une autre disposition intéressante mentionne que si le Canada ou le Mexique adhère à l’Acte de Genève de l’Arrangement de Lisbonne sur les appellations d’origine et les indications géographiques (Arrangement de Lisbonne), un traité international qui accorde des droits indéfinis à toutes les IG des pays membres, ce genre d’arrangement n’aurait aucun effet dans leur compétence.
Protection accrue des secrets commerciaux
L’ACEUM oblige les pays signataires à offrir des protections de droit civil et de droit pénal contre tout détournement délibéré et non autorisé de secrets commerciaux. Le Canada ne possède aucune législation sur le secret commercial. Les secrets commerciaux sont fondés sur les principes de common law et ils sont appliqués au travers de délits de common law ou de bris de contrat. À ce titre, ils sont traités comme des droits de propriété et des droits civils sous compétence provinciale. Les infractions pénales liées aux secrets commerciaux demanderont l’adoption de nouvelles modifications législatives de compétence fédérale. Il sera intéressant de voir comment ces engagements en vertu de l’ACEUM seront mis en application au Canada, car ils exigent une coordination fédérale-provinciale. Le Mexique et les États-Unis ne verront aucun changement, car ces pays ont déjà adopté des lois fédérales sur le secret commercial et les ententes de confidentialité sont généralement applicables (bien que très variables entre les États).
Rajustement de la durée d’un brevet en raison d’un retard du Bureau des brevets
Les demandeurs de brevets obtiendront un rajustement de la durée d’un brevet (RDB) si la délivrance d’un brevet canadien est retardée de façon déraisonnable par le Bureau des brevets. Le Canada et le Mexique devront amender leur loi respective sur les brevets de façon à prévoir un RDB si le délai est de plus de cinq (5) ans à partir de la date du dépôt de la demande de brevet, ou de trois (3) ans à partir de la date d’une requête visant l’examen d’une demande, la date la plus tardive étant retenue. La version modifiée de l’ACEUM comporte des précisions concernant les conditions et les limitations sur le RDB qui pourraient s’appliquer. Le Canada et le Mexique ont 4,5 ans pour mettre en application les changements au RDB. Les États-Unis ont déjà mis en vigueur une disposition de RDB.
Protection des données des produits pharmaceutiques : aucun changement pour les produits biologiques
Les trois parties conserveront leurs périodes actuelles de protection des données pour les produits pharmaceutiques : Canada 8 ans, Mexique 6 ans et États-Unis (7,5 ans pour les petites molécules et 12 ans pour les produits biologiques). À titre d’information, cela constitue un renversement de la proposition initiale de l’ACEUM qui précisait que la protection des données pour les produits pharmaceutiques biologiques devait être augmentée à 10 ans au Canada et au Mexique. Cette disposition a été révoquée par le PdA.
L’impact de ce « non changement » fait l’objet d’un débat très animé dans l’industrie des produits biologiques. Une référence utile dans la discussion est l’estimation du Bureau du directeur parlementaire du budget sur l’impact financier possible du changement sur les prix des médicaments d’ordonnance canadiens : augmentation de 0,5 % d’ici 2028 (augmentation de 169 millions de dollars pour un budget annuel total de 34,5 milliards de dollars).
En vertu du PdA, le Canada et le Mexique ne seront pas tenus d’accorder une exclusivité des données de trois (3) ans sur les nouvelles indications de médicaments déjà approuvés, contrairement à la pratique en vigueur aux États-Unis.
Le PdA ne précise cependant pas qu’une combinaison de médicaments dont au moins un membre de la combinaison est nouveau doit profiter d’une protection d’au moins cinq (5) ans dans les trois pays membres.
Objet brevetable dans les sciences de la vie
Le PdA a abandonné les efforts visant à pousser le Mexique à accepter certain types de brevets répandus au Canada et aux États-Unis. Le Mexique n’est désormais plus tenu d’accepter des brevets qui couvrent les nouveaux emplois d’un produit connu, ni les nouvelles méthodes d’emploi d’un produit connu ou les nouvelles procédures d’emploi d’un produit connu. Ces types de brevets auraient été particulièrement bénéfiques pour les produits pharmaceutiques innovateurs et les sciences de la vie.
Les membres du Comité de la politique commerciale en matière de PI de l’IPIC suivront la mise en application de ces dispositions au Canada, aux États-Unis et au Mexique en 2020.