Accueillir favorablement la neurodiversité au sein des cabinets spécialisés en droit de la PI à l'occasion de la semaine de célébration de la neurodiversité !
La neurodiversité est un concept qui reconnaît et apprécie les différents moyens adoptés par les gens pour vivre et interagir avec le monde. Bien que le terme soit habituellement appliqué à des conditions neurologiques comme les troubles du spectre de l'autisme, le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH) et la dyslexie, chaque personne pense et apprend différemment, et apporte ses talents individuels dans son lieu de travail. Le présent article met l'accent sur les efforts déployés pour assurer la réussite des personnes neurodivergentes[i] dans les cabinets spécialisés en droit de la PI, mais plusieurs des thèmes qui y sont discutés contribueront à améliorer les expériences professionnelles de tous les membres du cabinet.
Les personnes neurodivergentes peuvent contribuer à renforcer davantage le cabinet
Les cabinets conventionnels mettent beaucoup d’importance sur la valeur de la conformité et de la constance. Les cabinets spécialisés en droit de la PI peuvent cependant en tirer profit de plusieurs façons en accueillant favorablement la neurodivergence et les personnes neurodivergentes.
Les personnes neurodivergentes possèdent souvent des compétences absolument essentielles dans la pratique de la PI. La neurodiversité résulte des variations naturelles dans le cerveau qui mènent à différents schémas neurologiques cognitifs et comportementaux.[ii] Bien que les personnes neurodivergentes puissent éprouver des difficultés à composer avec certaines compétences et tâches, ces lacunes sont fréquemment compensées par les forces qui leur permettent de produire de l'excellent travail. Par exemple, une personne atteinte d'un TDAH peut éprouver des difficultés à gérer son temps, mais elle peut aussi posséder un esprit créatif exceptionnel et être en mesure d'identifier des solutions et des arguments qui ne seraient pas apparents pour les autres. Dans un même ordre d'idées, une personne autiste peut éprouver des difficultés à composer avec certaines formes de communication ou d’interaction, mais son niveau de souci du détail et de mémoire peut être supérieur.
Les personnes neurodivergentes peuvent en plus apporter des perspectives et des moyens uniques d'analyser l'information et les problèmes. Ces approches particulières peuvent mener à des solutions innovatrices et des décisions plus efficaces qui tiennent compte d'un vaste éventail de facteurs et même améliorer les résultats pour le cabinet et ses clients.
Le bassin de talent pour les professionnels de la PI comprend un nombre relativement élevé de personnes neurodivergentes. Les résultats d'une étude menée en 2016 auprès d'avocats américains démontrent que 12,5 % des répondants s’autoidentifiaient comme atteints d'un TDAH, un pourcentage beaucoup plus élevé que le taux de prévalence général de 4 à 8 % chez les adultes américains.[iii] Dans un même ordre d'idées, les résultats d'une étude du NIH démontrent que les jeunes adultes autistes qui suivent des études postsecondaires sont plus susceptibles de poursuivre des majeures en STGM qu'en toute autre majeure, et dans une proportion beaucoup plus importante que les personnes neurotypiques.[i] Un important pourcentage des professionnels canadiens de la PI ont poursuivi des études en droit, en STGM ou les deux. Les cabinets spécialisés en droit de la PI incorporent de plus en plus de stratégies sur la diversité, l’équité et l'inclusion dans leurs programmes d’embauche et de rétention de personnel. Les cabinets qui incorporent la neurodiversité dans leurs programmes embauchent et promeuvent les professionnels et le personnel qui reflètent plus fidèlement leurs bassins de candidats et plusieurs de leurs clients.
Embaucher des personnes neurodivergentes peut profiter au cabinet et à la personne embauchée. Je veux croire que c'est ce qui m'est arrivé. J'ai fait mes débuts au cabinet Bereskin & Parr en tant qu'étudiant d'été en 1996 et j'ai grandement apprécié mon expérience avec plusieurs mentors, du travail très intéressant et d’excellents collègues. Dix-neuf ans plus tard, à 46 ans, j'ai reçu un diagnostic de TDAH. Le diagnostic m'a aidé à comprendre une vie entière de difficulté à me concentrer sur certaines tâches pendant une très courte période tout en pouvant travailler sur d'autres pendant plus de 48 heures consécutives, en plus d'une multitude d'autres comportements qui ont fréquemment rendu le travail extrêmement difficile ou incroyablement satisfaisant. Je suis reconnaissant de travailler au sein d'un cabinet dont la culture est exceptionnelle et qui apprécie ses membres pour leurs capacités, leur travail acharné et leurs contributions au cabinet, ainsi qu’à ses travaux et ses clients. Lorsque j'ai reçu mon diagnostic, l'associée directrice du cabinet Micheline Gravelle était responsable de la mise en application des programmes visant à encourager de façon proactive la santé mentale, la diversité et la résilience parmi les avocats, les agents et le personnel du cabinet. Après avoir discuté avec Micheline et d’autres collègues, j’ai décidé d'annoncer publiquement mon diagnostic afin de normaliser le TDAH et d'autres neurodiversités à l’intérieur du cabinet.
Encourager les personnes neurodivergentes
Les cabinets peuvent contribuer à la réussite de leurs membres neurodivergents en leur fournissant un environnement de travail et des arrangements qui complètent leurs compétences. Par exemple :
- Espace de travail à niveau de distraction faible. Il peut être difficile pour les personnes atteintes de TDAH ou d’autisme de se concentrer dans des environnements remplis de distractions visibles ou audibles. En fournissant un espace de travail à niveau de distraction faible comme un bureau dont les murs non encombrés sont de couleur neutre, les cabinets peuvent aider leurs membres neurodivergents à se concentrer sur leur travail. Fournir aux membres du cabinet un casque d’écoute à suppression de bruits est une approche simple et rentable à adopter pour atténuer le bruit. Certaines personnes neurodivergentes apprécieront un éclairage de plafond à intensité réduite dans leur espace de travail. Fournir aux employés un éclairage paramétrable qui illumine leur surface de travail peut aussi contribuer à atténuer les effets des distractions visuelles. Si possible, les cabinets devraient coordonner l'aménagement des espaces de travail, les couleurs de peinture, les décorations et l'éclairage avec le personnel qui utilise les espaces de travail.
- Mentorat et counselling. Le mentorat joue un rôle clé dans la réussite des professionnels de la PI, ce qui peut être encore plus important pour les personnes neurodivergentes qui éprouvent des difficultés à communiquer ou à former des liens sociaux. Le mentorat est particulièrement important au tout début d'une carrière lorsque la courbe d'apprentissage est abrupte. Les cabinets devraient s'efforcer de jumeler les avocats, les agents et le personnel avec des mentors qui les aideront à naviguer la profession et bâtir une carrière solide. Dans plusieurs situations, un associé principal qui possède une vaste expérience juridique et d'agence ne sera peut-être pas le mentor idéal, mais plutôt un collaborateur relativement junior qui a récemment navigué les premières années exigeantes d'une carrière et qui pourrait aussi être une personne neurodivergente qui comprend les besoins particuliers du mentoré. Certains membres d'un cabinet qui peuvent être réticents à s’auto-identifier comme appartenant à une neurodiversité peuvent être en mesure d’identifier le mentor qui peut l’aider. Envisagez la possibilité de nommer plusieurs mentors pour les personnes qui pourraient bénéficier de nombreux points de vue et de prendre en compte les préférences du mentoré dans vos nominations. En plus, les cabinets devraient considérer d'inclure l'accès à des conseillers ou des thérapeutes proposés par leurs régimes d'avantages sociaux.
- Limiter les interruptions. Entre autres causes communes de faible productivité au travail, on retrouve les courriels, les SMS, les notifications de MS Team et d'autres interruptions. Bien que toute interruption mène à une certaine perte de progrès et d’élan, une personne neurodivergente prendra plus de temps pour revenir à une tâche suite à une interruption, ce qui amplifie l'effet. Les personnes neurodivergentes peuvent bénéficier de la désactivation des notifications; les cabinets devraient les encourager à le faire. Une approche productive à adopter est la programmation d'un rappel pour vérifier les courriels et d'autres notifications à l'heure ou aux deux heures, pour éviter d’être dérangé entre les rappels.
- Technologies d'assistance. Certaines personnes neurodivergentes peuvent bénéficier de l’utilisation des technologies d'assistance. Par exemple, une personne dyslexique peut apprécier un logiciel de conversion du texte au discours qui lit les documents à haute voix. Une personne atteinte de TDAH peut apprécier une extension de navigateur Web qui limite l'accès aux réseaux sociaux, aux actualités et à d'autres sites Web dérangeants.
- Arrangements de travail flexibles. Certaines personnes neurodivergentes éprouvent des difficultés à travailler pendant les heures de travail normales. Les cabinets peuvent les accommoder en leur offrant des arrangements de travail flexibles, y compris le télétravail et la capacité de travailler pendant les heures creuses. La pandémie de COVID-19 a démontré qu'il est possible de faire des affaires dans un environnement de travail hybride, avec des arrangements flexibles qui permettent aux membres d'un cabinet d'économiser du temps de déplacement, de réduire le stress et l'anxiété et d'améliorer la conciliation travail-vie personnelle et ce, pour contribuer à la réussite des personnes neurodivergentes (et de tout le personnel).
- Éducation. Les cabinets devraient éduquer tous les membres sur la neurodiversité. La reconnaissance des personnes neurodivergentes pour leurs capacités plutôt qu'en tant que personnes malades ou handicapées rehausse leur sentiment d'appartenance et les encourage à réaliser leur plein potentiel au sein du cabinet. Favoriser la compréhension et la sensibilisation chez les membres du cabinet et reconnaître la valeur que les personnes neurodivergentes apportent à la culture et aux activités du cabinet les aideront non seulement à atteindre leurs propres objectifs, mais aussi à améliorer les résultats du cabinet.
Favoriser une communication ouverte et exempte de tout jugement est un élément essentiel pour encourager les personnes neurodivergentes à l’intérieur d'un cabinet. Chez Bereskin & Parr, nous privilégions un environnement hautement réceptif. En tant que collaborateur junior, je me sentais autorisé à approcher les associés principaux du cabinet pour discuter du travail et d'autres questions. Mon ouverture sur mon diagnostic de TDAH m'a permis de reverser les fruits aux autres. J'ai eu plusieurs possibilités de discuter avec des collègues au sujet de leur façon de composer avec leurs propres neurodiversités, anxiétés et le stress typique d'une carrière exigeante, plus particulièrement pendant la pandémie de COVID-19 au cours de laquelle nous avons été physiquement isolés des autres pendant des mois entiers. Ces conversations sont invariablement mutuellement bénéfiques. Je peux mentionner à mes collègues les approches que j'ai adoptées pour composer avec ma gestion de la charge de travail, ma productivité et mes stratégies d'adaptation. Dans presque toutes les situations, j'en ai appris autant d'eux qu'ils en ont appris de moi. J'encourage les membres dirigeants des cabinets de PI, plus particulièrement ceux qui ont composé avec leur propre neurodiversité et d’autres enjeux, à garder leur porte ouverte (physiquement ou virtuellement) aux plus jeunes membres qui éprouvent peut-être des difficultés à réaliser leur plein potentiel et à les défendre de façon proactive.
Clients neurodivergents
Au-delà de leur personnel à l'interne, les cabinets devraient être attentifs à leurs clients neurodivergents. Les fondateurs et les dirigeants d’entreprise neurodivergents perçoivent le monde différemment et découvrant souvent des opportunités commerciales non discernées par les autres. J'ai vécu cette situation avec plusieurs fondateurs technologiques et des ingénieurs neurodivergents qui ont imaginé et créé une technologie qui semblait initialement en avance sur son temps et tirée par les cheveux, mais qui a éventuellement révolutionné leurs industries.
Lorsqu'on travaille avec un client neurodivergent, il faut être patient et lui permettre d'exprimer pleinement ses pensées. Les communications doivent être claires et concises, sans jargon juridique inutile. Il peut être plus facile d'expliquer des calendriers, des normes juridiques, des options de dépôt et des budgets accompagnés de graphiques et de diagrammes. Pour un client qui souffre d’hypersensibilités environnementales, il peut être indiqué de le rencontrer virtuellement ou dans son propre bureau où l’environnement est déjà adapté à ses besoins et ce, pour réduire le niveau d'anxiété du client et lui permettre de s'exprimer. Enfin, il peut être très utile pour un client neurodivergent d'avoir les documents en main avant une rencontre; il pourra les consulter à son rythme et sans la pression de tout comprendre en temps réel. Le client arrivera bien préparé, muni de questions perspicaces et en mesure de maximiser la valeur de la rencontre.
Observations finales
Incorporer la neurodiversité dans la stratégie de DEI d'un cabinet veillera à ce que le cabinet reflète son bassin d'employés et de clients potentiels. Les personnes neurodivergentes possèdent fréquemment des compétences exceptionnelles qui contribueront à améliorer les produits et les résultats du cabinet. Les cabinets peuvent aider de façon proactive les membres neurodivergents à réussir grâce à un mentorat solide et des communications franches, ainsi qu’en leur fournissant un lieu de travail convenable et d’autres arrangements qui maximisent leur potentiel.
Je terminerai en mentionnant deux slogans du secteur technologique. Pendant plus d’un siècle, le slogan d’IBM invite ses employés à PENSER. Dans notre ère d'inclusion croissante, le slogan d'Apple – PENSEZ DIFFEREMMENT – est peut-être plus indiqué.
Lectures complémentaires
Plusieurs excellentes ressources ont été publiées pour traiter des personnes neurodivergentes et de leurs employeurs, notamment :
- Moss, Haley. Great Minds Think Differently: Neurodiversity for Lawyers and Other Professionals. American Bar Association, 2021.
- Armstrong, Thomas. Neurodiversity: Discovering the Extraordinary Gifts of Autism, ADHD, Dyslexia and other Brain Differences. Hachette Books, 2010.
- Mahto, Monika and Hogan, Susan K. A rising tide lifts all boats: Creating a better work environment for all by embracing neurodiversity. Deloitte. www2.deloitte.com/us/en/insights/topics/talent/neurodiversity-in-the-workplace.html, 2022 .
- Shapiro, Scott S. Accommodations for ADHD in the Workplace. Psychology Today, www.psychologytoday.com/ca/blog/the-best-strategies-for-managing-adult-adhd/202204/accommodations-for-adhd-in-the-workplace, 2022.
- Cooks-Campbell, Allaya. Unlock creativity by making space for neurodiversity in the workplace. BetterUp, www.betterup.com/blog/neurodiversity-in-the-workplace, 2022.
- Baumer, Nicole and Frueh, Julia. What is neurodiversity?. Harvard Health Publishing, www.health.harvard.edu/blog/what-is-neurodiversity-202111232645, 2021.
References
[i] Le présent article utilise principalement un langage centré sur l’identité pour éviter l’implication que les neurodiversités sont des handicaps. Voir : Callahan, Molly. Unpacking the debate over person-first vs. identity-first language in the autism community. Northeastern Global News, https://news.northeastern.edu/2018/07/12/unpacking-the-debate-over-person-first-vs-identity-first-language-in-the-autism-community/; Collier R. Person-first language: Noble intent but to what effect? CMAJ : Canadian Medical Association Journal, 184(18), 1977–1978, https://doi.org/10.1503/cmaj.109-4319; and Gernsbacher, Morton. The use of person-first language in scholarly writing may accentuate stigma. Journal of Child Psychology and Psychiatry. 58. 859-861. doi.org/10.1111/jcpp.12706.
[ii] Neurodivergent, Cleveland Clinic, https://my.clevelandclinic.org/health/symptoms/23154-neurodivergent, retrieved 2023 March 5. What is neurodiversity?, WebMD, https://www.webmd.com/add-adhd/features/what-is-neurodiversity, retrieved 2023 March 5.
[iii] Krill, Patrick R. The Prevalence of Substance Use and Other Mental Health Concerns Among American Attorneys. Journal of Addiction Medicine (10)1:p 46-52, January/February 2016, doi: 10.1097/ADM.0000000000000182.
[iv] Wei, Xin; Yu, Jennifer W; Shattuck, Paul; McCracken, Mary; and Blackorby, Jose. Science, Technology, Engineering, and Mathematics (STEM) Participation Among College Students with an Autism Spectrum Disorder. J Autism Dev Disord. 2013 Jul; 43(7): 1539–1546 doi: 10.1007/s10803-012-1700-z.
Bhupinder Randhawa, associé au cabinet Bereskin & Parr, S.E.N.C.R.L., s.r.l., est aussi membre du comité exécutif du cabinet et coprésident de son groupe de pratique en brevets.